samedi 15 octobre 2011

L’orientalisme

un parcours historique

Conférence et questions posées à Henry Laurens, professeur au Collège de France

le jeudi 13 octobre 2011 à la salle de conférence du château de Blois


1. Depuis quand parle-t-on d’orientalisme ?

- Le mot entre dans le langage courant vers 1820. C’est un courant qui veut régénérer la littérature en s’appuyant sur l’Orient, en prenant l’Orient comme source d’inspiration. C’est une branche du Romantisme. Un mouvement équivalent apparait dans le domaine des arts, avec des tons plus chauds, des rouges, jaunes, ocres, des thématiques exotiques. On y voit la violence des passions et leur assouvissement. On pourrait parler de renaissance orientale.

2. L’orientalisme existait-il avant 1820 ?

- Oui, les orientalistes existent depuis longtemps. Les premières études scientifiques sur l’Orient datent de 1650. Dans ces années, on découvre qu’il existe des humanités orientales complémentaires aux humanités gréco-romaines. Au XVIe siècle, on faisait la différence entre les anciens et les modernes. Au XVIIe siècle, on y ajoute les orientaux, la distance linéaire entre Orient et Occident agissant comme une distance chronologique.

3. Quel est l’intérêt qui pousse les Européens vers l’Orient ?

- C’est tout d’abord un intérêt missionnaire et biblique. Celui-ci implique la connaissance des langues de la bible, l’hébreu, le syriaque, l’araméen et l’arabe, et des langues parlées par les peuples à évangéliser. D’où par exemple la création à Rome d’un collège maronite.

4. La raison est-elle uniquement religieuse ?

- Non, elle est aussi diplomatique. On apprend le turc et le perse pour traiter avec l’Empire Ottoman. C’est le rôle des drogmans, qui font leurs études à Paris, au lycée Louis-le-Grand, puis vont apprendre le turc à Constantinople pour servir à la diplomatie.

5. Quelles sont les répercussions en Europe ?

- Les voyages en Orient et la collection de manuscrits orientaux font naître une tradition de littérature orientale en Europe. Ainsi, La Fontaine connait des fables traduites du sanscrit, Antoine Galland traduit les 1001 nuits et quand il est à court de parchemin, il invente des histoires. L’histoire d’Aladin par exemple a été inventée par un français et a été reprise dans les éditions orientales des 1001 nuits. L’Orient devient une source d’inspiration. Les missionnaires en Chine devant étudier la langue et la culture et l’introduction d’objet chinois par le commerce entrainent en Europe un courant de sinologie et de « sinomanie ». C’est pour le commerce avec l’Orient qu’est créé le port de Lorient (l’Empire Ottoman faisait alors partie du Levant). Les Lumières font de multiples références au monde oriental, quand aux gazettes, elles ont des ouvertures de plus en plus lointaines et il n’est pas rare de voir en première page de la Gazette de France une correspondance de Perse datée de trois mois. Avec la Révolution Française, l’orientalisme change de forme. La Révolution doit s’étendre au reste du monde. C’est ce qui se passe lors de la campagne d’Egypte et par la suite lors de la colonisation.

6. L’orientalisme a-t-il eu un effet pervers ou non ?

-Répondre oui ou non serait donner un jugement, or nous ne sommes pas là pour ça. Jules Mole disait que l’Europe était en train d’affaiblir, de détruire l’Orient et qu’elle devait plutôt lui transmettre la science. Les orientalistes essayent au contraire de limiter la casse. Ils sont d’ailleurs plutôt appréciés dans les pays qu’ils étudient. Les orientalistes ont fait de nombreuses découvertes archéologiques, bibliques et de grammaire. Champollion découvre la pierre de Rosette, on redécouvre Babylone, Sumer. La grammaire comparée permet de mettre en évidence une famille de langues, les langues indo-germaniques ou aryennes, ou encore indo-européennes.

7. Comment l’orientalisme a-t-il évolué après la Seconde Guerre Mondiale ?

- L’orientalisme a été contesté, par les marxistes, par la décolonisation qui a opéré un réel déchirement, et par la critique post-moderniste. Aujourd’hui, les différences entre Orient et Occident tendent à s’effacer.

8. Il y a eu un orientalisme chez les occidentaux, y a-t-il eu un occidentalisme chez les orientaux ?

- Oui, du XVIe au XVIIIe siècle, mais pas écrit. Il y avait bien des relations de voyages mais qui n’avaient pas beaucoup de lecteurs. Il y avait des milliers de renégats, ces occidentaux qui passent à l’Islam et puis tout autour de la Méditerranée, la Lingua Franca. A partir du XVIIIe siècle on trouve de nombreux voyageurs orientaux en Europe, ce qui donne lieu à un genre littéraire. Il existe aussi des drogmans orientaux qui font partie du corps diplomatique. Ils ont tout vu, les guerres napoléoniennes, la Révolution Industrielle… On trouve de nombreux traités sur la cause du retard des orientaux et les moyens d’y remédier. Ce sont les évolués qui sont les occidentalistes. Ils contestent la suprématie anglaise en Inde et veulent un partage du pouvoir.

9. Vous avez parlé de l’orientalisme scientifique, pour moi, jusqu’à aujourd’hui l’orientalisme, c’était Delacroix et tous ces peintres du XIXe siècle. Peut-on rattacher l’orientalisme littéraire et artistique à l’orientalisme scientifique ?

- Oui, car ils sont apparus en même temps, mais l’orientalisme artistique est devenu un genre à part. Les orientaux ont eux-mêmes fait de la peinture orientaliste.


Thomas Drucy

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