samedi 22 octobre 2011

FAIRE LA GUERRE EN ORIENT, DU MOYEN AGE A LA GRANDE GUERRE : ANTICIPATIONS, DECOUVERTES, EXPÉRIENCES

Pour étudier cette question, quatre intervenants prennent place au milieu du grand amphithéâtre de la Halle aux Grains. Chacun représente une période de l’histoire. Nicolas Offenstadt, qui organise la discussion, les présente :
Dominique Barthélémy est spécialiste d’histoire médiévale et est professeur à l’université de Paris IV
Hervé Drévillon est professeur au CRHM (Centre de Recherche en Histoire Moderne) de l’université Paris I. Il est spécialiste d’histoire culturelle du XVIIe siècle et d’histoire militaire.
Henry Laurens est professeur d’histoire contemporaine orientale. Il fait référence tout le long de la conférence à l’expédition d’Egypte menée par Napoléon. Il est professeur au Collège de France.
Enfin, Francine St Ramond est chercheure, spécialiste du front d’Orient dans l’histoire de France.




N. Offenstadt commence tout d’abord par nous interpeller sur le titre de la conférence. S’il tient à bien expliciter ce titre, c’est qu’il est ambigu : la conférence ne parle pas du savoir-faire guerrier en Orient, mais bien des français qui partent, depuis le Moyen-âge jusqu’à la première guerre mondiale, faire la guerre sur les terres orientales. La guerre est étudiée d’un point de vue sociologique. On s’intéresse donc aux soldats et à leurs ressentis lorsqu’ils découvrent des pays, des régions inconnus jusqu’alors et bien souvent fantasmées.
Le sous-titre met d’ailleurs l’accent sur ces représentations : il souligne les confrontations souvent violentes du monde d’images que se fait l’esprit de l’européen avec la réalité de l’Orient. L’Orient reste d’ailleurs un terme complexe : l’Orient à proprement parler n’existe pas, il constitue seulement l’assemblage de ces idées, un monde unique et rêvé par les occidentaux, qui est en fait extrêmement multiple et complexe.
Chaque expérience varie d’un individu à un autre. C’est pourquoi le sujet doit être étudié d’un point de vue sociologique. Il permet d’articuler le singulier et le collectif, de rassembler les différents ressentis de ces hommes et d’éliminer les clichés figés à l’universel.


Les premières interrogations permettent de poser le sujet et ses enjeux : quand les soldats partent combattre, quel Orient ont-ils en tête, comment anticipent-ils leur voyage ?

Les Croisades à l’époque médiévale, D. Barthélémy

Pour les Croisés des XIIe et XIIIe siècles, le voyage est vu comme un pèlerinage vers les lieux saints. La découverte du monde oriental n’est donc pas l’objectif premier. Sous la prédication d’Urbain II, ils vont sauver la Terre Sainte de l’oppression des chrétiens d’Orient. Leur idée, à l’heure du départ, est qu’ils vont mener une guerre juste. Tous sont prêts à y laisser leur vie. En échange, ils seront amnistiés de leurs péchés professés.
Les Croisés, à la différence des soldats des conquêtes napoléoniennes par exemple, sont des gens de la haute société. Ce sont des barons, des nobles. Partir en Croisade c’est donc également une quête de gloire et de prestige : on veut égaler les ancêtres. Les guerres de Croisade sont des guerres dures, d’une extrême violence ; on cherche aussi à impressionner l’ennemi, à diffuser une image de marque de l’homme occidental, celui qui vient de loin.
On en vient alors à la question de l’ennemi que l’on affronte. Les Croisades sont des guerres tardives, qui se prolongent jusqu’aux débuts de l’époque moderne. Les turcs y sont des adversaires omniprésents. Ils représentent la figure du Levant, un Orient proche dominé par l’Empire Ottoman. Les guerres de Croisade, c’est l’union de la chrétienté face à un ennemi commun, un ennemi cerné de mystère, intrigant, mais que l’on apprend progressivement à connaître puisqu’il reste le même pendant plusieurs siècles. L’image du turc est donc devenue progressivement la représentation de l’Orient dominante. Il représente la figure de l’altérité par excellence. Mais cette altérité n’est donc pas radicale, elle devient familière. L’altérité radicale va alors être recherchée plus loin (chez les peuples des steppes d’Asie par exemple). C’est contre ceux-là que la guerre devient impossible : les cultures sont trop différentes, les pratiques trop étrangères.


Les soldats de Napoléon et l’expédition d’Egypte, H. Laurens

Ces hommes, déjà conquérants de l’Italie, débarquent le 17 juillet 1789 en Egypte. Leur première impression est celle d’un pays hostile. Ils arrivent dans des habits trop chauds, ils manquent d’eau. Ils vont affronter en Egypte quatre ennemis différents, avec pour chacun un type d’affrontement différent.
- Les Mamelouks ont mené une guérilla contre les français.
- les Bédouins
- la population égyptienne. Cette guerre, a débouché sur la destruction de village, et des massacres
- l’armée Ottomane, qui a été encadrée par des militaires britannique, avait alors une plus grande expérience

Durant cette conquête, la vie et le moral des français sont mis à rude épreuve. L’ambiance au sein de l’armée est mauvaise et on enregistre un fort taux de suicide. Les soldats ne comprennent pas pourquoi ils se trouvent en Egypte, d’autant plus que la France est à ce moment envahie. Les sources qui ont permis de faire avancer les recherches des historiens proviennent avant tout de la correspondance militaire. Celle-ci est riche et a été très bien conservée. Les historiens ont également travaillé sur les journaux personnels que tenaient les soldats, sur leurs dessins. Ils montrent, de la part des soldats, une très grande curiosité du pays.


Les fronts d’Orient de la Grande Guerre, F. Saint-Ramond

Sur ce thème les sources sont également nombreuses. Mais elles sont rarement inédites et proviennent pour la plupart de témoignages d’officiers et de généraux.
A la fin de l’année 1914, la guerre se stabilise. La guerre de position se met en place. C’est Churchill qui, le premier, décide de créer une guerre périphérique : « pour arriver à Berlin il faut passer par Constantinople ».
Quelle représentation de l’Orient avaient les soldats ?
Ces soldats étaient en grande majorité des ruraux. Pour eux, la découverte de l’Orient commence dès le sud de la France ! Tous ces soldats sont imprégnés de stéréotypes concernant l’Orient. Mais pour les hommes de ligne c’est un monde qui reste assez flou : ils voient l’Orient comme un monde d’opulence, avec de belles cités et de belles femmes.
Pour les plus cultivés de ces voyageurs forcés, l’Orient c’est également la découverte des racines de leur civilisation. Ils attendent beaucoup de ce voyage mais ont souvent des idées toutes faites de la région qu’ils vont découvrir.





Cette conférence aura été très enrichissante. Elle a su mettre l’accent sur des concepts tels que celui de l’altérité, des fantasmes et des imaginaires liés à cette altérité, auxquels les historiens intervenants ont brillamment répondu, tout en amenant les auditeurs à s’interroger. Les guerres menées par les français en Orient sont caractérisées par une grande violence, physique bien sur, mais également intellectuelle, par la confrontation directe à l’inconnu et à l’autre, parfois peut-être même à la compréhension de celui-ci.
Le sujet entre donc en parfaite harmonie avec le thème de cette quatorzième édition de Rendez-vous de l’Histoire, en abordant au travers des guerres le rapport subtil qu’entretiennent les Occidentaux avec un Orient dédoublé : l’Orient du fantasme et l’Orient du réel.

A. Clément