mardi 6 décembre 2011

les révoltes arabes au miroir du "printemps des peuples "

Dimanche 16 octobre à 14h30 s’ouvre une conférence qui adopte un point de vue historique original , celui de la comparaison entre les révolutions arabes actuelles de 2011 et le printemps des peuples de 1848. Les deux évènements pourtant éloignés de plus d’un siècle et demi se retrouvent réunis sous un même terme, celui de "printemps révolutionnaire". Un groupe de six historiens spécialisés en histoire politique du 19ème siècle ou sur le monde arabe se sont interrogés sur les similitudes ou différences de causes , d’acteurs , de diffusion des idées des deux mouvements.

Tous enseignent l'histoire , en université, à l'institut d'étude politique, en France ou à l'étranger. KMAR BENDANA intervient en tant que spécialiste de la Tunisie, NORA BENKORICH intervient pour la Syrie, BENJAMIN STORA est spécialiste du Maghreb et de l’Algérie. JEAN-CLAUDE CARON est spécialiste du XIX eme siècle et précisémment des révolutions de 1848 . ALAIN-GERARD SLAMA est un historien , polémiste et journaliste . Et enfin JEAN GARRIGUES est spécialiste d’histoire politique, c'est lui qui mène le débat.

Les Objectifs

Nora Benkorich est celle qui a le plus développé la question des objectifs comparés de la révolution de 1848 et de la révolution Syrienne . La notion de fraternité de 1848 peut se retrouver dans les liens de solidarités trans-arabes actuels comme par exemple les circulations d'informations entre Tunisie et Syrie. Pour les notions de liberté et démocratie réclamées en 1848 elle signale que c’est la liberté qui prévaut chez les Syriens qui considèrent que la démocratie viendra forcément de leur liberté de choix devant les urnes.

La question de la labellisation d’un évènement

Très vite émerge la question de la fabrique d'un évènement par le nom qu'on veut lui donner. Le terme de révolution arabe est partout dans les médias et utilisé sans plus de d'interrogation par la plupart des gens. C’est Jean Claude Caron qui intervient le premier , il rappelle que le Printemps des peuples aurait pu être appelé printemps des révolutions , ou année des révolutions ce qui montre bien qu’aucune appellation ne coule de source. Il termine en disant qu’il serait préférable de parler de révoltes pour les soulèvements de 2011 puisque le terme révolution ne devrait être utilisé qu'une fois le processus fini et les conséquences (comme celles d’un changement de régime ) analysées. Il regrette également que le mot révolution n’englobe pas tout le mouvement mais ne soit utilisé que pour parler des combats armés.

Sur la question des appellations , Kmar Bendana réagit et rappelle que le terme de " révolution du Jasmin" construction de la presse étrangère au tout début des évènements Tunisiens a été violemment rejetté par les acteurs du mouvement . Il était jugé offensant de part son caractère exotique en paradoxe complet avec la brutalité des évènements.Elle et Nora Benkorich reviennent sur le terme de "révolution" qui a posé moins de problème puisqu'en arabe le mot signifie à la fois révolte et révolution .

Une autre labellisation qui a fait fureur dans les médias est celle de « Révolution facebook , twitter ou 2.0," ce qui leur fait une bonne transition pour envisager le rôle d'internet dans la diffusion de l'information.

Jean Claude Caron regrette qu'on prenne le moyen (internet ) pour la chose (la révolte) même si Kmar Bendana lui répond qu'elle ne voit pas comment dissocier internet et la révolution car ce sont les images de la révolution véhiculées par les réseaux sociaux qui ont entretenu le mouvement. Pour elle la diffusion des informations par internet entretient l'espoir et le courage et permet aux acteurs de se sentir en phase avec leurs idées. Nora Benkorich ajoute qu' internet a permis la diffusion du mouvement car des conflits isolés qui auraient pu être étouffés par le gouvernement Syrien ont trouvé un écho national .

Sur le thème des causes et acteurs des révolutions .

La montée de l’alphabétisation, de l’éducation des populations dans une période ternie par la crise économique et le refus des corruptions grandissantes sont pour Alain Gérard Slama les éléments principaux de la conjecture exceptionnelle qui a fait naître les révolutions de 2011 . Kmar Bendana complète son propos en expliquant que le régime Ben Ali avait réussi à imposer à l’international la vision de la Tunisie comme un petit pays calme, sans contradictions où les droits de l’homme étaient respectés . La Tunisie a enfin pu révéler au monde son histoire cachée, ses problèmes, la pauvreté , éléments bien connus à l'intérieur du pays mais pas à l'échelle internationale, que le site wikileaks a révélé au monde entier.

Enfin Jean Garrigues en tant qu'historien du XIX ème s'interroge sur la question des acteurs qui sont les mêmes en 1848 et en 2011 . Il regrette que la lumière soit toujours mise sur les même groupes héros de la révolutions comme par exemple les étudiants et que d'autres comme les paysans soient toujours délaissés . En 1848 on considerait que les paysans ne pouvaient avoir de culture politique réservée aux urbains ,c'est encore le cas aujourd'hui malgré le rôle évident des paysans dans la révolution. Benjamin Stora estime que cette lacune dans l’information provient d’une paresse intellectuelle de la presse qui segmente pays par pays et présente toujours l'information sous les mêmes angles limités.

Peut être ont -ils été un peu prophètes puisqu'une heure plus tard le thème des rendez vous de l'histoire 2012 à été donné, il s'agira des paysans , espérons que ceux ci retrouverons la place qu'ils méritent dans certains évènements historiques .

Cette conférence s’est avérée agréable à suivre puisque très vivante, les intervenants réagissant régulièrement aux propos de leurs collègues. Les thèmes et le temps de parole bien orchestrés par Jean Garrigues ont permis de ne pas perdre le fil. On sentait aussi l'implication de chaque intervenant dans les évènements qui bouleversent le monde arabe, et qui suscitent chez eux des interrogations et attentes. Mais plus encore qu'un simple éclairage sur la situation actuelle et sa comparaison intéressante avec celle de 1848, les intervenants ont poussé le public à s’interroger et garder un esprit critique sur le traitement des révoltes/ révolutions dans les médias. Les termes employés à tord ou sans réelle compréhension, les visions souvent partielles et orientées de ce genre d’évènements sont récurrentes . Jean Claude Caron a particulièrement insisté sur les dangers de l’information immédiate qui « s’écrit à chaud , qui dit « tout ce qu’elle sait et qu’elle ne sait pas » et contre laquelle il faut lutter . Il prend l’exemple de Wikipédia qui fournit déjà des notices sur les révolutions arabes de chaque pays alors que les mouvements sont encore en cours , la Syrie est déjà qualifiée de révolution alors que la situation est plus complexe à l’heure où la conférence se tient.

Léa Cicchelero


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